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ouvrage collectif
Christophe Bertrand – Écrits, entretiens, analyses et témoignages
Un 17 septembre, voilà cinq ans, disparaissait Christophe Bertrand (1981-2010), compositeur prometteur qui considérait son métier nécessaire « non pas pour divertir le public, mais pour le faire évoluer ». En moins de quinze ans, le jeune homme aura intégré le CNR de Strasbourg (1994-2000), l’Ircam (2000-2001) et la Villa Médicis (2008-2009). Comme pianiste, il a joué la musique de ses confrères au sein des ensembles Accroche Note et In Extremis – dont il est un des trois fondateurs –, tandis que ses propres œuvres seront connues à travers l’Europe via des commandes de formations variées (Yet, Kamenaia, Diadème, Scales, Ayas, Arka), de festivals (Haos, Mana, Hendeka, Haïku, Satka), d’institutions variées (Aus, Madrigal, Sanh, Vertigo, Dall’Inferno, Okhtor) ou même de particuliers (Virya, Arashi).
Entrepris sous la direction d’Olivier Class – flûtiste, musicologue et également co-fondateur d’In Extremis –, l’ouvrage débute par des témoignages de proximité et d’intérêt divers signés par l’essayiste Anne Blayo, les musiciens Catherine Bolzinger (cheffe de chœur), Laurent Cabasso (pianiste), Ivan Fedele, Philippe Hurel (compositeurs) et par lui-même. Ils dressent le portrait d’un homme cultivé, curieux, bavard et amoureux qui traverse des périodes difficiles malgré une reconnaissance et un succès grandissants (sauf erreur, le mot suicide n’apparaît pas dans ces pages) ; ils évoquent un artiste doué et travailleur, ennemi de la facilité et de la complaisance qui serait « sans doute devenu l’un des compositeurs de référence de ce siècle ».
Christophe Bertrand prend ensuite la parole, à travers quatre textes et autant d’entretiens, écrits et réalisés entre 2002 et 2010. Les premiers saluent Boulez et Bruckner, déplore l’essor de l’interdisciplinarité et présente quelques axes de son langage : « une virtuosité qui serait le vecteur d’une énergie transmissible à l’auditeur », une consonance brouillée par une foule de micro-intervalles, un rythme asynchrone, un résultat compréhensible sans être hédoniste, etc. Les seconds mettent l’accent sur les influences savantes (Ligeti « au-dessus de tous », Reich, Fedele, Dusapin, Xenakis, Berio), donnent des pistes sur sa méthode d’écriture, ses ambitions (« réinterpréter les évolutions et créer un style propre ») et ses méfiances (vocalité, informatique, paresse du public et fascisme néo).
Une analyse du Kammerkonzert de Ligeti prépare à d’ultimes paroles du créateur puisque sont réunies, pour finir, les notices conçues pour présenter la plupart des quarante pièces à son catalogue – lesquelles sont aujourd’hui l’occasion de concert-hommage [lire notre chronique du 20 janvier 2014] ou d’enregistrement monographique (Motus M214008). Derrière des titres liés à l’énergie et au mouvement – Crash? (retiré du catalogue), La chute du rouge (2000), Mana (2005), Vertigo (2008), etc. –, Bertrand avoue des influences littéraires (Manganelli, Boiardo, Sappho, Calvino, Barthes, Rabelais, Jouve) ou picturales (Merani, Rothko). Il affirme aussi son goût pour les carceri d’invenzione (dixit Ferneyhough), la licence qui permet de s’en échapper et une lenteur qui sied mieux à son évolution que la rupture.
La collecte de ces documents est donc à saluer, qui nous fait mieux connaître et davantage apprécier – comme l’écrit Fedele – « un garçon prodigieux ».
LB